En un tournemain la lame fit le tour du sabot, le débarrassant ainsi de la boue séchée dont les débris jonchaient désormais le sol aux pieds de la draeneï. Zangar avait ses inconvénients, mais cela restait un paradis pour herboriste par la diversité et l’opulence de sa flore.
A l’orée de la carrière Ango’rosh, la rencontre inopinée avec une paire d’ogres avait forcé Mùse à faire une pause dans sa cueillette de la soirée. Leurs deux corps gisaient face contre terre. La draeneï avait pris soin de les tourner ainsi pour ne pas avoir à supporter la vue de leur faciès grimaçant, assise sur la pierre levée que les deux brutes travaillaient avant qu’elle les interrompe.
Mùse sauta au bas de son perchoir, se retourna et tapa du sabot contre la pierre de taille, faisant voler les derniers résidus de terre argileuse. La chamane replia son couteau d’un rapide mouvement de main et le rangea dans une petite bourse de cuir qui pendait à sa taille.
L’air était saturé d’humidité mais la chaleur étouffante laissait présager l’orage avant que le jour s’achève. Mùse sourit. La pluie, le tonnerre, le ciel déchiré par la foudre ne lui faisaient pas peur. C’était même un spectacle qu’elle appréciait. Mais elle savait qu’elle ne pouvait s’attarder suffisamment longtemps pour jouir du récital que la nature donnerait sur les marécages.
Alors elle se pencha pour ramasser sa besace. Et c’est au moment où sa main se saisit de la lanière de joncs tressés qu’elle perçut une odeur acre. Pour qui connaissait les hôtes des marais le doute n’était pas permis. C’était l’odeur caractéristique des Tourbedague, un mélange de plantes odorantes, de boue et d’excréments que les autochtones utilisaient pour se camoufler et masquer leur propre odeur. Ils se fondaient ainsi dans leur environnement pour approcher leurs proies ou se dissimuler à la vue de visiteurs indésirables.
Se sachant épiée, Mùse releva doucement la tête, essayant de déceler l’origine du danger. L’attaque faillit tout de même la prendre par surprise. Un épieu lancé de sa droite vint se ficher à ses pieds. Un saut en arrière, le temps se mettre en position et son assaillant était déjà sur elle. Sa première attaque fut pour la tête. La chamane tenta d’esquiver le coup et le para de justesse, la lame venant glisser sur une corne.
Souriant de sa bonne fortune, Mùse profita de la stupeur de l’assassin pour se dégager d’un violent coup de bouclier qu’elle lui assena en pleine face. Sonné, le Tourbedague devint franchement furieux.
La chamane esquiva une volée de coups lancés à l’aveugle. Le Tourbedague continuait d’avancer sur elle, ses coups redoublant de violence à défaut de précision. Sur les talons, Mùse devait à tout prix éviter de se retrouver acculée à une pierre.
Lorsque l’assassin leva de nouveau le bras, elle le frappa d’un horion de givre en plein torse et plongea subitement sous son flanc droit. La chamane fit appel à la rapidité du loup pour s’écarter de son agresseur temporairement paralysé. Il avait laissé passer sa chance et le combat tournait désormais à l’avantage de la draeneï.
Mùse était maintenant à bonne distance, totems de courroux posés et l’éclair qu’elle incantait présageait une fin proche à son adversaire.
Il le sentit et ne fit même pas semblant de courir dans un assaut futile quand la décharge de foudre vola vers lui. Il s’effondra lentement, comme au ralenti, son regard vide vissé dans celui de Mùse. Et dans ses yeux, la draeneï vit toute la souffrance infligée à ses frères désormais perdus.
Non, elle ne s’attarderait pas plus longtemps, pas suffisamment pour jouir du récital que la nature donnerait en ces lieux. Alors que les premières gouttes de pluie touchaient le sol de Zangar, Mùse prit son envol.